La décision la plus difficile de ma vie
Des décisions comme celle que j’ai dû prendre, ça ne se choisit pas en tirant à pile ou face. Un changement de vie majeur s’annonce pour moi (encore?) et il est le résultat de l’atteinte de plusieurs objectifs personnels dans les dernières années. Il m’oblige toutefois à abandonner mon bonheur actuel afin de pouvoir en bâtir un plus grand ailleurs.
Comment décider
Tout d’abord, il est important que je mentionne que cette réflexion a été un processus extrêmement difficile qui s’est échelonné sur plusieurs mois. Les dernières semaines étaient encore plus éprouvantes, car je sentais la pression de devoir trancher au plus vite, avec la venue de la directrice qui allait me demander si j’étais prêt à me commettre à Stepping Stones pour une autre année. Cette période affectait mon quotidien, me rendait terriblement irritable et me poussait à me refermer sur moi-même. Je devais prendre une décision, mais j’en étais incapable. Tout ce que je réussissais à faire c’était de m’informer sur toutes mes options, des plus simples aux plus compliquées, en passant par les plus folles. Au moins, j’accumulais du contenu à réfléchir, mais il m’était impossible de trancher. J’avais besoin d’une retraite.
Je me suis donc renfermé pendant 3 jours dans un chalet, isolé de tout le monde, sans ne dire à personne où j’étais, sans aucune distraction ni électronique, que mon carnet de voyage des 3 dernières années, mes articles passés, mes notes, du papier, un crayon et des méditations guidées (et de la bouffe bien sûr, je n’allais quand même pas jeûner).
Mon premier jour était réservé tout d’abord à me vider l’esprit grâce aux méditations et à me la remplir de mon histoire. Pour ce faire, j’ai lu et relus tout ce que j’avais écrit depuis que j’avais pris la décision de quitter le Québec en 2016. Je me suis souvenu des raisons de mon départ, de mes objectifs, de mes découvertes, des émotions que j’avais ressenties, des pensées, des apprentissages que j’avais faits et des réponses que j’avais trouvées. Je suis aussi passé par les raisons qui m’avaient poussé à revenir au Malawi en 2017 et celles qui m’avaient encouragée à rester pour une 2e année consécutive en 2018. Grâce à cette journée complète de décrochage, j’ai réussi à me recentrer sur qui je suis et ce que je veux dans la vie.
Ma deuxième journée de réflexion servait à faire le tour de la question « Que se passerait-il si je quittais le Malawi pour revenir au Québec? ». Je devais coucher sur papier tout ce que je devais faire et préparer pour me permettre de venir au pays, mais surtout toutes les émotions qui me venaient à cette idée. Je devais agir et penser comme si ma décision était déjà prise, et visualiser ce qui arriverait. La troisième et dernière journée était semblable, mais devait tourner autour de l’option « Que se passerait-il si je restais au Malawi? ». J’ai aussi profité de ma retraite pour clarifier des questions comme : « Quels sont mes rêves? », « Quels éléments composent mon bonheur? », « Quels sont mes désirs en amour? », « En quoi suis-je unique? » et « Pourquoi je veux des enfants? ».
Ça été trois jours chargés d’émotions, de rires, de joie, de tristesse, de pleurs, d’anxiété, de nostalgie, d’espoir, de désespoir, mais surtout de réponses.
Cette technique décisionnelle m’avait été recommandée par une amie en 2017 pour m’aider à choisir entre continuer mon aventure ou revenir au Malawi pour être directeur d’école. J’avais pris deux semaines pour faire le tour de la question « Continuer » et seulement deux jours pour « Malawi », car le cœur avait parlé. Dans le cas présent, j’ai utilisé la même technique et, encore une fois, elle a fonctionné.
Considérer toutes les options
Ma retraite m’a tout d’abord rappelé que je désirais être papa depuis aussi longtemps qu’octobre 2016. J’avais toutefois repoussé le projet pour plutôt me permettre de réaliser un autre rêve qu’était celui de voyager. Ce même désir de paternité avait refait surface en avril 2017 lorsque je devais choisir mon aventure ou mon arrêt au Malawi. En restant au Malawi, j’avais accepté de reporter pour une 2e fois mon intention d’avoir des enfants. Et une 3e fois quand j’avais reconduit mon contrat de directeur d’école pour une autre année. Chaque fois, j’étouffais un rêve qui devenait de plus en plus viscéral et incontrôlable. Toutefois, pendant la dernière année, j’avais espoir que ma relation et mon rapprochement avec les filles d’Alice (Doreen et Vanessa) réussiraient à combler mon besoin d’être père. J’avais tort.
Même si je passais mes journées entières avec elles, que je leurs offrait tout ce que je possédais et que je leur donnais une éducation spéciale, jamais je ne pouvais mériter l’amour qu’elles dévouaient pour leur mère naturelle. J’étais incapable d’obtenir cet amour inconditionnel qu’un enfant biologique donne à ses parents (et c’est tout à fait normal). Non seulement elles ne pouvaient pas m’aimer tel un père biologique, mais j’éprouvais le même sentiment à leurs égards. Ne vous méprenez pas, notre amour mutuel est exceptionnellement fort, je les appelle mes filles, elles m’appellent papa. Toutefois, le lien unique et absolu qui les lie à leur mère est imbattable (et je n’ai jamais eu l’intention de le battre). Tous les parents qui me lisent comprendront de quoi je parle. Je devais donc l’accepter ou avoir mes propres enfants. Une chose est certaine toutefois, ma relation privilégiée avec elles a légitimé mon appel parental et a consolidé mes capacités paternelles. Elles sont la raison pour laquelle je crois en mes aptitudes à être un bon père.
J’ai aussi considéré des options comme : l’adoption internationale, les mères porteuses et même celle de m’obliger à une relation amoureuse au Malawi.
Confronté à toutes ces pensées, j’avais besoin de revenir à la base et définir pourquoi je veux tant un enfant. L’une de mes méditations m’a permis de comprendre que mon besoin de créer cet amour inconditionnel m’habite, et que même si je l’oublie ou le fuis, il continuera d’exister et reviendra me hanter un jour. C’est un amour inné, qui surprend par son intensité intrinsèque, qui ne se réfléchit pas et qui n’a pas besoin d’être bâti, contrairement à celui d’un amour de couple ou lors d’une adoption. C’est de cet amour dont je rêve depuis si longtemps. Avoir un enfant me permettra d’y accéder, mais aussi de transmettre mes valeurs, mes acquis et ma vision de la vie.
Pour finalement choisir
Cette décision est la plus difficile qu’il m’a été demandé de prendre de toute ma vie, car je dois abandonner mon bonheur actuel afin de pouvoir en bâtir un plus grand ailleurs. Mais peu importe le choix que je fais, ma vie sera heureuse, car j’ai appris que le bonheur m’appartient et qu’il est intrinsèque à chacun.
Cependant, certaines décisions impliquent un passage difficile vers un bonheur futur et supérieur. Ma capacité d’acceptation sera mise à rude épreuve pour accueillir le rythme effréné de l’occident; pour résister à la pression de la performance nord-américaine; pour m’éloigner des technologies illusoires; pour voiler les artifices futiles, éphémères et fugaces; pour retrouver une communauté de partage aussi remarquable qu’au Malawi; et pour redévelopper une unité familiale telle que j’avais avec Alice, Doreen et Vanessa.
J’aurai toutefois la possibilité de me donner le temps de tomber en amour et d’envisager la venue de mon propre enfant. Je pourrai l’élever dans un environnement où j’aurais eu de la difficulté à le faire ici au Malawi. Mon pays d’accueil des deux dernières années possède d’extraordinaires qualités et avantages, mais n’offre pas un milieu rêvé pour un enfant, du moins pas selon ma vision personnelle de l’éducation.
Contrairement au jour où j’ai tout vendu pour quitter le pays, je ne fuis rien cette fois. Je ne me sauve pas d’un « mal-être » comme je le faisais il y a presque trois ans. J’ai atteint mes objectifs de détachement matériel plus que je le souhaitais, et je me suis rapproché énormément de mes véritables valeurs tels l’altruisme, l’authenticité, la générosité, le partage, l’amour et l’amitié. Ces trois dernières années m’ont beaucoup appris. Elles m’ont permis de devenir plus sincère à moi-même et me permettrons, je l’espère, d’être encore plus heureux au Québec.
Prendre la décision a été difficile, mais ce qui suivra sera beaucoup plus laborieux. Lors des prochains mois, je devrai progressivement renoncer à ce (et ceux) que j’aime ici. Mon retour en octobre ne sera pas de tout repos non plus. Je suis aujourd’hui incroyablement riche de l’intérieur (cœur et esprit), mais, à l’extérieur, je recommencerai presque à zéro.
Un excellent début
Même s’il y a encore beaucoup à vivre dans mon processus émotionnel, j’ai reçu l’excellente nouvelle d’avoir été choisis pour le poste de directeur de l’école Jeunes musiciens du monde de Sherbrooke. Avant de voir l’affichage de poste, ou même de connaître l’organisme, j’avais rêvé d’une telle opportunité, car elle allie mes passions et mes talents : arts, gestion, éducation, enfants, immigration et culture. Elle comporte aussi des conditions que j’avais toujours voulu à mon retour : 30 heures par semaine, localisée à Sherbrooke, avec une petite équipe et une clientèle 50 % immigrante.
Lors de mes exercices de visualisation précédents, je m’étais imaginé plusieurs sphères de ma vie combinant toutes ces passions et conditions, mais jamais je n’avais osé imaginer qu’elles seraient toutes comblées par mon emploi.