Avant de partir à l’aventure, je me suis préparé pendant plus d’un an, mais je n’ai rien planifié… sauf une seule chose. Un seul incontournable primordial : visiter le camp de réfugié(e)s de Nyarugusu. J’en avais fait la promesse à ma deuxième famille et j’allais tout faire pour tenir ma promesse.
Le rêve
En septembre 2015, j’ai décidé de m’impliquer auprès des familles réfugiées à Sherbrooke. J’ai donc approché l’organisme SAFRIE (Soutien aux familles réfugiées et immigrantes de l’Estrie). Ils m’ont immédiatement attribué la famille André, une famille extraordinaire de cinq enfants, de 5 à 17 ans, arrivée depuis quelques mois au Québec (Jean-Claude, Réhéma, Anserme, Kérémesia et Nadia)
Bien que mon mandat premier soit d’aider les deux enfants plus vieux dans leurs devoirs, mon implication s’est vite étendue à aider tous les enfants dans une multitude d’aspects de leur intégration : devoirs, achats divers, visites, sorties éducatives, transports, activités plein air et sportives, etc. Pendant un an, je les voyais de deux à trois fois par semaine. Nous nous sommes donc beaucoup attachés tous les six; ils étaient ma deuxième famille… les enfants que je n’ai jamais eus.
Lorsqu’est venu le jour où je devais leur annoncer mon départ de plusieurs mois en Afrique, je savais que ce serait aussi difficile pour eux que pour moi. Pour faciliter le deuil de notre côtoiement, je leur ai fait la promesse que lorsque je serai en Tanzanie, je ferais tout en mon possible pour, au minimum, visiter le camp de réfugiés où ils sont tous et toutes né(e)s : le camp Nyarugusu .
Ce camp, situé à 55 km de Kasulu, tout près de la frontière du Burundi au nord-ouest, est l’un des plus peuplés du monde. Ils comptaient plus de 300 000 réfugiées, principalement en provenance du Congo et du Burundi, avant qu’une grande partie de la population soit transférée séparément dans deux autres nouveaux camps près de Kibondo , plus au Nord. Sans faire de promesses que je ne pourrais peut-être pas tenir, je leur ai confié que j’essayerais de visiter le quartier où ils avaient grandi et de rencontrer leurs amis et voisins encore présents dans le camp.
Entamer son rêve
Dès mon entrée au pays, je me suis procuré une moto pour me permettre de me rendre dans la région de Kigoma où se trouve le camp de Nyarugusu, à plus de 850 km de Mbeya. J’ai affronté les routes les plus difficiles, j’ai mangé la poussière, je me suis perdu, j’ai habité chez les moines catholiques, j’ai communiqué dans une langue quasiment inconnue (le Swahili), j’ai cogné à des portes fermées et j’ai passé proche de la mort dans le parc national de Katavi. J’ai toutefois atteint la ville de Kasulu sain et sauf le 4 juin.
Arrivé à Kasulu, je me suis cherché un hôtel. Pendant mes allées venues dans la ville, j’ai croisé un immense complexe identifié UN (Nations Unies) et je savais qu’ils sont l’un des seuls organismes à administrer le camp. J’ai donc frappé à leur porte les doigts croisés dans le dos. Après avoir raconté mon histoire à trois différentes personnes, on m’a recommandé de revenir le lendemain (nous étions dimanche) où l’on pourrait me rediriger vers les quartiers généraux à quelques kilomètres de là. Me voilà donc à 8 h du matin à la guérite du QG des Nations Unies, à exposer mon rêve aux agents de sécurité, ensuite au chef de la sécurité, à la réception de l’administration, au responsable des visiteurs et finalement au directeur de la coordination.
Ce dernier a ensuite fait des pieds et des mains pour m’ouvrir trois différentes portes. La première fut de transférer mes informations et mon CV au bureau général des Nations Unies à Dar Es-Salaam pour d’éventuelles opportunités de bénévolats. La deuxième fût de m’indiquer la façon de me rendre directement au camp de réfugié(e)s à 55 km de là pour m’adresser au bureau du Ministère des Affaires intérieures et discuter d’une éventuelle visite. La troisième porte, en dernier recourt, fut de m’offrir de faire parvenir directement le cellulaire à la famille anciennement voisine de la famille Andrée. Car la maman m’a remis un peu d’argent avant mon départ et m’a fait promettre d’acheter un téléphone cellulaire en Tanzanie et de le donner à une famille très proche d’eux, qui habite encore le camp, afin qu’ils puissent reprendre contact.
Boucler la boucle
Le matin du 7 juin, j’enfourche donc ma moto en direction du Camp de réfugié(e)s de Nyarugusu. Après 1 h 30 de conduite aveugle à me remplir les poumons de poussière rouge, j’aperçois les dizaines d’enseignes m’indiquant que je suis tout près de mon objectif.
Mon premier obstacle est le barrage de police. Je dois leur raconter mon histoire, leur expliquer qu’on m’a recommandé de me présenter au bureau du ministère des affaires intérieures le plus proche de Kasulu pour rencontrer le directeur et leur proposer d’appeler le directeur de la coordination que j’avais rencontré le jour précédent. Ils finissent par me laisser passer, sous escorte, pour me rendre au bureau du ministère.
À ce moment même, j’ai le pressentiment que ce sera peut-être la première et dernière fois que je pourrai voir le camp. J’arrête donc mon regard sur tout ce que je peux. J’observe tout et assimile beaucoup. De l’école primaire à la clinique médicale, en passant par le marché, les femmes qui transportent leur baril d’eau et les enfants qui courent partout. En fin de compte, c’est comme un n’importe quel village africain d’importance, sauf qu’ici, personne ne peut sortir (ni entrer) du village.
Ce qui attire surtout mon attention, ce sont les centaines d’habitants regroupés aux alentours de trois gros autobus voyageurs. Certains fêtent, d’autres pleurent et presque tous et toutes prennent des photos. La majorité des réfugiés attroupés portent des vêtements neufs et plusieurs arborent l’effigie américaine ou canadienne. C’est alors que je comprends que ces autobus amèneront tous ces réfugié(e)s vers leur nouveau pays d’accueil, après un long périple de paperasse administrative, de vols, de chocs et d’acclimatation. De futurs nouveaux arrivants aux États-Unis (pauvres eux) et au Canada. De nouvelles familles comme la famille André. Des enfants comme ceux que j’avais aidés à s’intégrer. À ce moment précis, je venais de boucler la boucle… Je venais de saisir le sens d’une grande partie de mon aventure.
Accomplir son rêve altéré
Rendu au bureau, je rencontre le directeur du ministère des Affaires intérieures qui, malheureusement, ne peut pas m’autoriser à me rendre plus profondément dans le camp. Il me propose toutefois d’envoyer quelqu’un dans le quartier où la famille André habitait pour ramener les voisins et amis.
Grâce à l’information que m’avaient fournie les enfants, la liste des noms et une photo d’un d’entre eux que j’avais imprimée et trainée avec moi depuis l’Afrique du Sud, j’ai pu, après seulement trois heures d’attentes, faire leur connaissance.
Pendant trois autres heures, je me suis présenté, je leur ai raconté mon histoire, nous avons regardé des photos de la famille André, nous avons pris des photos ensemble et nous avons même appelé la famille André grâce à mon Skype. Je leur ai aussi remis l’argent promis et je les ai avisé(e)s que je ferai parvenir un téléphone cellulaire neuf dès le lendemain. Après des adieux émotifs, j’ai dû les quitter, impuissant de pouvoir faire plus pour eux.
Au final, je n’aurai pas pu m’impliquer dans le camp, ni même voir où habitait la famille André. Cependant, je ne suis pas triste ou amer de cet échec partiel. Je suis plutôt très fier d’avoir bravé la distance et les obstacles pour atteindre cet objectif symbolique de mon aventure.