Mon plan était simple : quitter le monastère de Mvimwa, profiter de ma traversée du parc national de Katavi et me rendre à Mpanda. Une courte distance de 205 km en 6 h 30 qui s’est vite transformée en 9 h de martyres et de panique. Seul au monde, attaqué par les mouches tsé-tsé, enlisé dans les sables mouvants, frappé de plein fouet par les milliers de trous et renversé de ma moto, mon taux d’adrénaline était à son maximum.
Sur papier
Mon objectif de la journée est de quitter le monastère de Mvimwa à 8 h et de me rendre à Mpanda avant la tombée de la nuit. Sur papier, c’est simple. Après la 3e heure de moto, je me rendrai à Kisi, situé juste avant l’entrée du parc national de Katavi, afin de manger un petit quelque chose, de faire le plein d’essence et de reposer mon gros derrière endolori. Ensuite, je traverserai le parc à une vitesse de croisière pour me permettre d’apercevoir la faune locale (girafes, lions, éléphant, hippopotames, gazelles, etc.) et de prendre quelques photos. Je terminerai ensuite ma journée à environ une heure après la sortie du parc national, dans la ville de à Mpanda, exactement à 205 km (environ 6 h 30) de mon point d’origine.
En réalité
Pour une raison que j’ignore, malgré les indications détaillées d’un prêtre du monastère, je suis déjà 1 heure au-delà de la ville de Kisi. Ça fait déjà trois heures que je roule, j’ai le cul en feu, je commence à avoir faim et mon niveau d’essence est déjà très bas (je n’ai toutefois aucun moyen de savoir la quantité exacte restante sauf en me plongeant l’œil dans le trou du réservoir). J’aperçois déjà au loin l’affiche qui me souhaite la bienvenue dans le parc national de Katavi. Faudra donc que j’affronte le parc en affamé, en douleur et en priant.
Je vais quand même me permettre un petit arrêt de quelques minutes sur le bord de la route pour photographier l’affiche « Welcome ». J’ai à peine le temps de sortie mon appareil photo que je suis pris d’assaut par une dizaine de mouches Tsé-Tsé ! Tsé les mouches grosse comme un 25 cents canadien, qui te mordent plusieurs fois en une seconde et qui transmettent la maladie du sommeil. Le nom « tsé-tsé » vient justement de la langue tswana, parlée dans plusieurs pays d’Afrique australe et signifie « mouche qui tue le bétail ». À partir de maintenant, il me sera impossible de même ralentir à moins de 30 km/h si je ne veux pas me lamenter de douleur en répliquant à leurs attaques.
J’entre donc dans cette région aride, longue de 87 km, pleine d’animaux dangereux et désertée par la majorité des humains. Parce que le plus épeurant ce n’est pas de croiser un éléphant ou un lion, mais bien de ne jamais croiser personne pendant longtemps si un incident survient.
Les différentes surfaces de la route se relayent aux kilomètres. De toute mon inexpérience comme motocycliste (il y a à peine deux semaines, je n’avais jamais conduit de réelles motos de ma vie), je brave la gravelle, la terre battue, la terre non battue, la glaise, les trous, les trous, les trous et le sable. Car le pire c’est le sable. Si vous avez eu la chance de conduire une moto, vous savez donc que la traction arrière, combinée avec le poids des bagages et du conducteur, permet de propulser le cul du véhicule de gauche à droite à perpétuité lorsqu’elle entre en contact avec un sol moelleux comme le sable. L’équilibre précaire du derrière se répercute instantanément sur le devant forçant le conducteur malmené à battre des bras de gauche à droite tel un archet de violon pendant la pièce classique « le vol du bourdon ».
C’est dans de telles circonstances que je prends ma première débarque en moto. Heureusement, je n’’hérite que d’hématomes, de quelques éraflures et d’un beau coup dans l’orgueil. Ma moto aussi ne subit que de légères contusions avec un parechoc crochi. Ce qui m’a toutefois inquiété le plus c’est que le moteur ne voulait plus redémarrer pendant quelques secondes, semblant quelques minutes. Toutes ces minutes sans signe d’un bon samaritain en offrant un festin royal aux mouches dévoreuses d’hommes.
Peu importe la surface sur laquelle je roule, il y a des trous… beaucoup de trous. Je valse continuellement entre eux, toujours en évitant de tomber en dessous des 30 km/h. Je réussis à en contourner plusieurs, mais je suis encore meilleur pour les prendre en plein nez. Avant chaque impact, je supplie le seigneur de prévenir un bris mécanique et j’implore mes fessiers colériques de se calmer. Quand je croise exceptionnellement un camion, ou quand il y en a un qui me double, c’est un nuage de poussière et de cailloux (pas le frère de Mousseline là) qui m’est balancé au visage me faisant perdre tout contact avec la réalité routière pendant plusieurs secondes. C’est pendant ces rencontres que j’excelle le plus dans mes embrassades de chaussée béante.
Nul besoin de vous dire que pendant la durée complète du trajet, mon attention est tout yeux tout oreilles sur les 100 mètres devant moi. Il est hors de question de détourner ma concentration vers l’horizon et la faune imaginable. J’ai l’adrénaline dans le tapis, les pupilles dilatées et le cœur qui bat la chamaille. J’atteints finalement la limite nord du parc après cinq heures de calvaire. Je suis épuisé, brun de poussière, en sueur et en larmes. Je m’arrête quelques minutes dans une station-service pour faire le plein (ma moto a littéralement pompée le carburant de la pompe à essence), prends quelques gorgées d’eau, respire un bon coup et continue pour une dernière heure sur une magnifique route asphaltée, vide de bestioles, à 90 km/h, jusqu’à MPanda pour y passer la nuit.
Et la seule chose que j’aurai entrevu qui se rapprochait le plus d’un animal, ce sera un ouvrier de la route barbu qui ruminait au soleil.
3 Comments
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Malgré la réalité ‘dramatique ‘ de ton escapade, tu réussis à nous faire rire !!
Attention à toi Francis, on veux que tu reviennes vivant de cette aventure parfois ‘périlleuse ‘ !!
Merci Barbara. Je vais faire attention. Je serai intrépide, mais pas stupide.
je fais du pouce sur le commentaire de Barbara!!! Tu ne dois pas oublier de prendre soin de toi. Rappelles-toi Icare 🙂
Je profite pour t’envoyer plein de belles énergies de notre Québec…
“Aux grandes âmes, les grands challenges.”
Anne Marquier