Malgré mes aventures de la dernière année, il y avait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi vivant. Cette excursion en direction de Livingstonia se révéla beaucoup plus difficile que je ne l’aurais imaginée, mais comment plus révélatrice du dépassement de soi et éloquente de la force du mental et du corps humain.

Mushroom Farm | Livingstonia, Malawi

Le 14 octobre dernier, nous partions pour une fin de semaine à Livingstonia. Nous étions trois adultes et deux enfants : deux bénévoles (Leah et Bridget), moi et deux enfants (Matthews et Natasha) de ma classe à qui je voulais offrir une fin de semaine spéciale. Rappelons que presque tous les Malawiens et Malawiennes, spécialement les enfants, n’ont jamais eu la chance de voir autre chose que leur propre village natal. Je voulais les faire rêver et leur donner l’espoir qu’ils puissent découvrir le monde un jour.

S’y rendre

Il fallait d’abord se lever à 4 h du matin afin d’attraper les premiers minibus vers Mzuzu et ensuite vers Chitimba, d’où nous amorcerions une randonnée de trois heures. Pour sauver des sous, j’avais décidé de ne payer que deux places et d’assoir un des enfants sur moi. Rappelons aussi que les minibus africains sont reconnus pour « packter » les gens pire que des grains de riz dans une canne de DaintyTM (les gens qui l’ont expérimenté sauront de quoi je parle). Je me suis ainsi retrouvé sur le dernier siège au fond du véhicule, assis sur une planche de 2 par 8 avec un enfant de 12 ans sur mes genoux… pendant 6 heures.

J’étais au fond, à gauche, avec un enfant de 12 ans sur mes genoux
« packter » les gens pire que des grains de riz dans une canne de Dainty

L’ascension

À notre arrivée à Chitimba, après m’être déplié huit fois et avoir donné 15 minutes à mon cul et mes jambes pour revenir à la vie. Nous commencions notre ascension vers Livingstonia. Ce petit village perdu à 3000 pieds (900 m) d’altitude dans les montagnes du nord du Malawi offre une vue imprenable sur la chaine de montagnes de la région et sur le lac. Fallait toutefois s’y rendre.

Nous voulions effectuer la montée seuls, sans guide, en suivant le chemin le plus facile, sans raccourci, pour ne pas nous perdre. Pendant les premières deux heures, nous avons monté un dénivelé important, à un bon rythme, zigzagant le flanc de la montagne. Sauf que le soleil jouait contre nous. Sans vent pour nous rafraichir, la chaleur accablante nous vidait de toute notre énergie. C’est pourquoi nous avons décidé de tenter de prendre quelques raccourcis. Ceux-ci, beaucoup plus apiques, nous auraient toutefois fait sauver du temps si ça n’avait été des risques que nous prenions.

Malgré un doute qui s’était planté dans mon esprit en voyant un énorme tronc d’arbre à l’entrée du dernier raccourci, qui semblait dire « ne pas emprunter ce raccourci », nous avons commencé notre ascension. Que dis-je… notre escalade. J’étais en tête du groupe, à utiliser les techniques d’escalade que j’avais apprises à Vancouver, et à tester la sureté du chaque pas et chaque poigne. Chaque pas comportait un risque énorme de faire glisser la terre sous mes pieds. Chaque poigne risquait de faire décrocher la pierre ou la racine que ma main venait de saisir. À mi-chemin de ce long raccourci, nous aperçûmes des babouins traverser le passage à quelques dizaines de mètres au-dessus de nous. C’est alors qu’une énorme pierre venue s’écraser, à pleine vitesse, sur ma main gauche, sans que je puisse la voir venir. Un des singes avait dût la faire rouler (non intentionnellement je l’espère).

Les dégâts de la pierre roulante sur mon bras
Les dégâts de la pierre roulante sur mon pouce

L’effet de l’adrénaline sur mon corps et mon esprit

Après m’être assuré que mes compagnons n’étaient pas blessés, je constatai que la peau de mon pouce et de mon avant-bras gauche avant été arraché (voir broyée) par la pierre. J’ai tout d’abord vérifié si un os s’était brisé en bougeant mes doigts et ma main. Heureusement, tout semblait fonctionner.

C’est là que magie de l’adrénaline opéra. Comme je n’étais pas dans une position pour m’assoir et en faire plus, je me remis instantanément à monter quelques mètres supplémentaires. En seulement quelques secondes, j’atteignis une petite plateforme qui me permit d’analyser les dégâts plus en profondeur.

Curieusement, les plaies ne saignaient pas énormément, probablement parce qu’elles étaient en surface. Dans mes bagages, j’avais eu la brillante idée d’apporter un peu d’iode et d’onguent antiseptique, car ce qui m’inquiète le plus des plaies, c’est le risque d’infection dans un environnement aussi hostile que l’Afrique. L’adrénaline me fit trembler de tout mon corps pendant que je versai de l’iode directement sur les plaies. Toutefois, cette même hormone réduisit la douleur. J’appliquai ensuite de l’onguent antiseptique et un bandage temporaire, le temps que je puisse atteindre le sommet.

Pour la suite, j’avais le courage d’un enfant et la détermination de mon ex quand elle voulait me convaincre de quelque chose. Sans pouvoir utiliser mon bras gauche, je procédai chaque enjambée technique avec une précision chirurgicale, en aidant Matthews, Natasha, Bridget et Leah à monter à leurs tours. En à peine dix minutes, nous atteignîmes le sommet, et du coup, l’auberge où nous allions passer les deux prochains jours.

Se sentir si vivant dans la survie

Cette montée, qui dura quatre heures au lieu de trois, malgré les raccourcis, me fit sentir plus vivant que jamais. J’avais accompli un exploit que peu de gens peuvent se vanter et, avec l’événement de la pierre, j’avais encore plus d’honneur d’avoir complété cette randonnée. J’aurais pu abandonner plusieurs fois, prétextant la fatigue ou l’incapacité à utiliser ma main gauche. Non. J’avais fait le choix de continuer et de me surpasser.

Depuis cet événement, j’ai l’impression d’être plus vivant. Je connais le sentiment du dépassement de soi. Je comprends, ne soit qu’un tout petit peu, les émotions que peuvent ressentir les aventuriers extrêmes. Ceux qui montent les montagnes les plus élevées ou celles qui s’aventurent dans des milieux arides et éloignés. Ceux et celles qui poussent les limites du corps humain; cette machine tellement performante, capable de s’améliorer constamment et de s’adapter à toutes conditions, si on lui donne la chance et le temps de le faire.

Lancez-vous dans l’aventure. Peu importe ce que le mot « aventure » signifie pour vous. Si elle est physique, faites confiance à votre corps. Il saura vous permettre de vous surpasser et vous rendre fiers. Si elle est psychologique, laissez tomber les limites que vous vous mettez et refusez les craintes qui vous sont imposées par les autres. Et n’oubliez pas…

Nos peurs n’existaient pas au départ, elles ont été acquises et sont simplement la concrétisation de nos limites. Si nous ne les affrontons jamais, elles perdureront.