Comme moi, tu auras affronté pendant plusieurs mois des centaines de situations déstabilisantes et tu auras survécu à des dizaines d’obstacles semblant insurmontables. Toutefois, le milieu le plus difficile à s’adapter sera chez toi, parce que cet endroit représente simultanément ce que tu as toujours été et ce que tu ne voulais plus être. Il te demandera entre autres beaucoup d’acceptation, surtout si tu veux que ton séjour soit beau et agréable comme l’a été le mien.
La logistique
Ton séjour nécessitera beaucoup de logistique… et de déplacements. Plus de six jours d’interminables trains et autobus à partir de Mwanza, au nord de la Tanzanie, jusqu’à Lilongwe, au Malawi. Suivi de trois vols jusqu’à Boston (près de 300 $ moins cher que d’atterrir à Montréal), en passant par Johannesburg en Afrique du Sud et par New York aux États-Unis pour un total de 22 heures de vol. Finalement, tu prendras l’autobus de Boston jusqu’à Burlington où ton frère aura eu la gentillesse de venir te chercher pour t’emmener en Beauce, voir ta famille.
La famille
La famille sera en même temps le plus facile et le plus difficile du retour. Le plus facile parce que tu reviendras et tu sauteras simplement dans de vieilles pantoufles confortables avec toutes les mêmes habitudes que tu auras connu pendant toutes ces années et que tu n’auras aucunement oubliées. Des us et coutumes qui sont profondément ancrés chez toi et qui referont surface trop facilement.
Ce sera toutefois aussi le plus difficile du retour parce que ces habitudes masqueront tous les changements que tu pensais être survenu à l’intérieur de toi. Même si tu avais l’impression d’avoir beaucoup changé et que rien ne serait pareil à ton retour, la routine et le bien-être familial te ramèneront directement au point de départ, comme si rien ne s’était passé depuis les huit derniers mois de voyage. Tu auras un peu l’impression d’avoir perdu ton temps et d’avoir faire tout cela pour rien.
Heureusement, lorsque tu sortiras du milieu familial pour visiter les amis et connaissances, ce que tu es devenu au cours de ton périple reviendra au grand gallot et tu seras plus à même de constater véritablement les changements qui sont survenus chez toi. Tu seras en mesure de t’apercevoir que tu n’es plus la même personne et que tu as sans contredit gardé (ou éliminé) ce que tu avais décidé de changer pendant ce long processus de recherche de soi.
Les ami(e)s
Avec les ami(e)s, ce sera un plus facile, même s’il aura une certaine distance entre vous parce que tu n’auras pas continué à entretenir des liens sur une base régulière avec eux. Aussi forte que soit (ou était) votre amitié, il y aura quelques silences dans vos anecdotes parce que depuis plusieurs mois vos vies auront, à chacun, continué leur chemin sans trop tenir compte de celle de l’autre. Pas nécessairement dans des chemins opposés, mais plutôt plus libres de contraintes. Il règnera donc dans vos conversations une sorte d’écoute difficilement active.
Il y aura peut-être aussi de la frustration devant cette vie que tu ne vis plus, qu’elle te fasse encore envie ou non. Tes ami(e)s auront toujours un calendrier rempli de travail, d’occupations et d’obligations. Toi, surtout si tu es en visite temporaire, tu n’auras aucune de ces astreintes dans ta semaine. Profites-en pour « atterrir » de ton voyage, te renvoyer dans tes nouveaux acquis et éviter de les oublier. Si tu écrivais un journal, continue à le faire.
Ne demande jamais à tes amis ou à ta famille de comprendre, d’agir ou de penser comme s’ils avaient été avec toi ou s’ils avaient vécu ce que tu as vécu. Partage ce que tu as vécu, mais ne juge pas leurs états d’esprit et leurs opinions. Surtout, ne critique pas leurs habitudes et leurs manières d’agir dans un monde occidental. Il est impossible de demander à un Canadien de vivre comme un Africain, et l’inverse non plus. L’humain s’adapte simplement à l’environnement qui l’entoure, comme tu auras appris à le faire pendant les mois de ton aventure.
La dépendance aux autres
La dernière difficulté que, comme moi, tu devras affronter c’est ta dépendance aux autres. Comme tu auras probablement fait le choix de vivre simplement, sans revenus, avec tes économies comme seule ressource financière, et qu’en plus tu auras dépensé près de 2000 $ en billet d’avion et en transports, pour ton séjour d’un mois au Québec, tu devras dépendre de la charité de tes proches. Et c’est là la grande difficulté si tu es une personne indépendante et autonome comme je le suis.
À ton retour, ou pendant ton séjour, tu te sentiras souvent comme un poids pour certaines personnes. Toujours à tout leur demander et à dépendre d’eux ou à sentir que tes demandes sont difficiles à combler. Avoir l’impression que tu déranges leur routine, et ce même si tu n’es auprès d’eux que quelques semaines par années. Ce sera d’autant plus choquant comparativement à l’indépendance et l’adaptation que tu connaissais en voyage : aucun plan, à affronter les changements et les compromis fréquents.
Monétairement, tu ne pourras plus sortir avec certains de mes amis, ou même avec des membres de ta famille, car ils auront un niveau de dépenses beaucoup plus élevé que toi. Sinon, tes options seront de mendier pour qu’ils paient pour toi (et du coup te sentir énormément redevable) ou de t’abstenir.
L’acceptation
Tu passeras des moments mémorables avec tes proches, si tu acceptes les contraintes et limitations que je viens d’énoncer. Si tu admets que tu n’es plus la même personne et qu’ils/elles ne le sont plus non plus. Si tu accueilles les renoncements qui accompagnent les choix de vie que tu as faits avant et pendant ton aventure. Mais avant tout, si tu es prêt ou prête à refaire des adieux douloureux à des gens importants, de qui ton bonheur dépend. Ce sera peut-être, depuis ton départ, le plus gros défi que tu auras bravement relevé, et en sortiras, encore une fois grandi.