Seul en questionnement
À tous les jours, j’essaie de faire le bien autour de moi, de tous les moyens possibles. Il y a de cela quelques années, j’ai ajusté ma vie sur ma volonté à aider l’autre et maintenant, mon aventure complète est fondée sur cette idée. On dirait toutefois que la volonté n’est pas suffisante des fois.
Il arrive que je me trompe et que je blesse certaines personnes, bien malgré moi. C’est dans ces moments-là que je doute de ma mission personnelle. Que j’ai le goût de tout arrêter et que j’essaie de me convaincre qu’au final, je n’aurai rien accompli de si important. Je n’aurai qu’erré d’un pays à l’autre en prenant tout ce que je peux et en ne donnant rien de concret en retour.
Ce n’est pas toujours facile de respecter ses convictions tout en s’assurant que tu ne nuis à personne. Ce n’est d’autant pas évident de savoir si tu agis correctement quand tu n’as personne autour de toi pour t’appuyer ou t’aider à voir clair. Surtout quand tout ce que tu reçois comme feedback c’est celui de la personne que tu as blessée. Ensuite, tu t’autocritiques, tu te questionnes sur ce que tu dois recevoir et garder et tu décides si tu changes quoi que ce soit de qui tu es. Tout cela reposant sur la rétroaction d’une seule personne, fâchée et blessée.
Étant, je crois, une personne fondamentalement bonne, j’ai tendance à me remettre en question à tout commentaire que je reçois.
Ce que je donnerais pour avoir quelqu’un pour me réconforter lorsque je suis en crise de questionnements personnels et que je doute de moi-même et de ce que je fais ici…
Tikondane Community Center | Katete, Zambia (Photos et vidéos)
Mon passage ici fut bref, mais tellement enrichissant. En seulement quatre semaines, j’en ai appris énormément sur la permaculture et sur la gestion d’une organisation communautaire. J’y ai aussi rencontré de merveilleuses personnes et tissé quelques liens. Je suis toutefois partagé sur mes sentiments face à cette expérience.
Tikondane Community Center | Katete, Zambia
Un peu de tourisme avant Tikondane
Après mon passage au Zimbabwe, je traverse en Zambie. Comme Katete se situe à l’autre extrême de la Zambie, je rejoins un ami de Hong Kong qui m’a contacté via le site Travel-Buddies.com pour se joindre à moi, et nous visitons la région de Livingstone.
Tout d’abord, nous ne pouvons pas manquer les chutes Victoria. C’est un lieu touristique, mais vraiment impressionnant qui remplit bien notre première journée ensemble.
Le lendemain, nous nous rendons dans le village de Mukuni, à quelques kilomètres de Livingstone. Ce village, quoique tout près d’une ville fortunée, est d’une pauvreté surprenante. À notre arrivée, on nous oblige à faire un don 5 $ pour encourager la communauté et on nous force à prendre un guide pour visiter le village. Tête de cochon comme je suis, je refuse le guide et nous feignons de nous rendre au marché du coin pour ensuite nous glisser entre les huttes du village et échapper à la guide bourrue qu’on nous avait assignée. Ça en valait la peine, car il n’est pas habituel pour les villageois de Mukuni de voir deux « muzungi » (hommes blancs) marcher par eux-mêmes et ils se permettent de nous approcher pour amorcer la discussion. À mon plus grand bonheur, les enfants s’attroupent autour de nous et j’en profite bien sûr pour sortir mon traditionnel paquet de cartes. Les gens nous présentent leur village, nous invite chez eux et les enfants nous suivent et rient. Nous rencontrons aussi Noa, avec qui nous passons la majeure partie de notre journée et qui nous invite à sa répétition de chorale. J’y suis resté pendant près de deux heures, à simplement me laisser bercer au son de cette merveilleuse beauté vocale.
Direction Katete
Nous avons 15 heures d’autobus à faire pour nous rendre de Livingstone à Katete, en deux jours. Mon nouvel ami a le super-pouvoir de s’endormir après cinq minutes sur la route, moi pas. C’est donc un 15 heures que je passe en bonne compagnie à discuter et à partager ma musique avec moi-même. En plus, l’auberge de jeunesse où nous choisissons de dormir à Lusaka, la capitale de la Zambie, me donne l’occasion de faire la connaissance avec mes premières punaises de lit. Heureusement, j’avais des soupçons sur la salubrité de l’endroit et j’ai dormi avec ma doublure d’appoint en soie . J’ai aussi évité d’ouvrir mon sac à dos et je l’ai laissé, couvert de ma housse imperméable, dans un endroit sec et surélevé de la chambre. J’ai ainsi réussi à limiter la contamination aux vêtements que je portais et à certains articles. Nous arrivons donc à Tikondane Lodge le 23 janvier.
Tikondane Community Center
Il y a de cela 18 ans, une enseignante médicale allemande à l’hôpital St-Francis à Katete constata que le niveau d’alphabétisation était anormalement bas dans la région et décida d’enseigner la lecture et l’écriture aux habitants locaux. Après seulement quelques mois, une de ses étudiantes lui avoua que pour les villageois, bien avant le besoin d’être capable de lire et d’écrire, venait le besoin d’avoir un emploi. C’est alors qu’elle ouvrit une auberge et un restaurant, offrant du coup des emplois à plusieurs personnes des environs.
Au cours des années suivantes, elle ajouta une panoplie de projets communautaires tels une école préscolaire et primaire, des cours aux adultes, des programmes d’aide alimentaire pendant la saison des sécheresses, etc. Tous ces projets ont comme objectif d’aider les communautés de Katete à sortir de la pauvreté.
19 étapes pour sortir de la pauvreté
L’une des plus grandes et promettantes des initiatives de Tikondane Community Center est les « 19 étapes pour sortir de la pauvreté ». Ce projet consiste à 19 étapes que les familles doivent suivre afin de combattre la malnutrition et afin de devenir autosuffisante avec ce qu’elles cultivent et élèvent.
En détail, les cinq premières étapes sont théoriques et expliquent le fonctionnement du corps humain et des bactéries. Les étapes 6 à 13 concernent l’alimentation, l’importance d’une diète variée et le compost. Les étapes 14 à 19 introduisent l’élevage d’espèces animales hautes en protéines, soulignent l’importance des familles réduites, proposent un modèle d’arrangement de la maisonnée et détaille la nutrition des femmes enceintes et allaitantes.
À travers ces 19 étapes, j’ai moi-même appris que le labourage des champs est plus nuisible qu’utile et que le jardin en sacs permet d’être mobile et de cultiver à l’intérieur pendant la saison de sécheresse. J’ai aussi appris que la moringa contient 7 fois les vitamines C d’une orange, 4 fois les vitamines A d’une carotte, 4 fois le calcium d’un verre de lait, 3 fois le potassium d’une banane et 2 fois les protéines d’un yogourt… Quand même puissant et nutritif comme légume.
Malgré la pauvreté, la saison des pluies, les insectes et la chaleur, Tikondane c’est surtout des gens extraordinaires, travaillants, chaleureux et intelligents. Ce sont des enfants curieux, allumés et dynamiques. C’est une communauté proche et des familles unies. Des personnes qui me manqueront, même si on ne se connait que depuis peu.
Sentiments partagés
J’ai de la difficulté à définir comment je me sens à l’égard de cette expérience à Tikondane. D’un côté, j’ai grandement appris et j’ai reçu beaucoup de gentillesse, tous les jours. Les gens ici voulaient mon bonheur. Toutefois, comme Tikondane Lodge est aussi une business, j’étais incapable de savoir s’ils le faisaient par devoir ou par pur bon cœur. Je ne veux pas dire par là qu’ils s’obligeaient à être aimables et attentionnés, mais plutôt que, certaines fois, ils auraient été plus vrais en exprimant leurs réels sentiments et opinions sur moi ou sur les moments que l’on partageait ensemble. En réaction à ce blocage de leur part, je n’ai pas réussi à aller en profondeur dans ma relation avec eux.
De plus, il existe une tension constante entre les employés et la directrice. Celle-ci, à la veille de se retirer après 20 ans d’implication, semble avoir abandonné son admiration, voire même son respect, envers les employé(e)s de Tikondane. Elle n’a aucune patience, lève le ton constamment envers eux, ne se gêne pas pour leur faire savoir leur incompétence et les dévalorise régulièrement. Nécessairement, ce genre de conduite entraîne un désengagement et une aversion de la part des membres de la communauté. Il règne donc un environnement de potinage, de calomnie et même de haine quelquefois.
Même si je n’ai été ici qu’un mois, je commençais déjà à ressentir cette ambiance sur mon moral et mon tempérament. Je n’avais déjà plus envie d’aider la directrice irrévérencieuse et la fermeture partielle des employé(e)s m’empêchait de tisser des liens. Je ne suis néanmoins pas amer à la suite de mon expérience avec Tikondane, je dirais toutefois que je ne crois pas avoir changé leur vie, ni même énormément la mienne.
Les enfants eux
Les enfants, eux, toujours aussi intéressés et intéressants, auront réussi à me changer. Que ce soit lors de nos rencontres au village ou lors des quelques fois où j’ai passé la journée à l’école préscolaire, ils auront touché mon coeur.
Journée à l'école préscolaire de Tikondane.
On joue à "1-2-3...Soleil!" et je leur parle de mon aventure.
Ma prochaine destination est Liwonde au Malawi, un minuscule village à 250 km de la ville importante la plus proche, où j’enseignerai l’anglais aux enfants d’une école primaire. C’est tellement éloigné que je dois faire mon épicerie (sauf pour les légumes) dans la capitale pour le mois complet de mon séjour. J’ai tellement hâte!
La puissance de l’homme déchu dans un monde de femme
Loin d’être en mesure de généraliser pour tout le continent, j’observe néanmoins quotidiennement l’homme africain. Que ce soit au Lesotho ou en Zambie, il y a une distribution inégale flagrante du pouvoir entre hommes et femmes. C’est toutefois en Zambie que j’ai eu le dégoût de la masculinité. Une révulsion qui me ferait préférer, et de loin, être une femme en Afrique.
Première rencontre et impression masculine | Lesotho, décembre 2016
Les hommes des villages du Lesotho sont presque tous soit bergers, soit travailleurs dans des mines lointaines, soit inaptes au travail, soit trop vieux. Lorsqu’ils ne sont pas au travail, et encore, ils sont absents, saouls et/ou errent telles des âmes vides d’énergie et de buts. Ils ne font rien… ils ne sont rien.
Ce sont pourtant eux qui prennent les décisions relatives au village, à la maison et à la famille. Ce sont eux qui font acte de présence sporadiquement, dans cette société majoritairement de femmes et d’enfants, et qui imposent leurs points de vue, leurs alignements et leurs puissances. Ils prennent des décisions dont les femmes et les enfants n’auront d’autre choix que de respecter ou de tricher en cachette. Ces femmes et enfants qui se lèveront à 5 h 30 du matin pour y accomplir les dizaines de tâches quotidiennes telles : le ménage, le lavage, la cuisson, le jardinage, le travail au champ, l’entretien de la maison, les soins des bébés, l’éducation des enfants, pour ensuite s’occuper d’eux-mêmes. Ces femmes et ces jeunes prioriseront toutefois toujours l’homme (l’adulte) et subiront sa puissance aveugle.
Dans une société à proportion égale et à puissance équilibrées, je suis pleinement pour l’égalité, mais lorsque l’homme est absent et en flagrante minorité, plus de pouvoir devrait être donné aux femmes.
Heureusement, cette injustice tend à disparaître. On ne la retrouve presque plus dans les villes, en diminution dans les villages et quasiment inexistante chez les jeunes générations. Nous ne sommes pas encore à même de voir « La femme au travail, l’homme à la maison », mais ça ne serait tarder.
Déchéance du mâle | Zambie, février 2017
La Zambie est un pays tout d’abord plus pauvre, mais avant tout, enraciné dans des valeurs familiales moyenâgeuses, sexistes et oppressives. Tout comme au Lesotho, beaucoup d’hommes sont absents, saouls et/ou mazettes. Malheureusement, même si je ne suis ici que depuis peu, j’entends déjà des histoires de grossesses précoces, de sida, de viols et même de pédophilie. Ici, sans être une pratique « officielle », l’homme a plusieurs femmes, provenant de différents villages. Il peut donc, les posséder sexuellement comme bon il lui semble, sans protection, sans obligation et sans respect. Les familles sont donc surpeuplées et sous-alimentées (Je vous mets, à la fin de cet article, une liste de certains comportements que l’on voit encore ici en Zambie).
De plus, devant un contexte de l’emploi difficile à la grandeur du pays, l’homme est souvent chômeur et se fait littéralement vivre par la femme, elle-même sans-travail ou agricultrice d’un petit lopin de terre.
Qui plus est, cette pratique est normale et tolérée, voire acceptée par certaines femmes. Elles se soumettent donc à la volonté des hommes et font leur possible pour vivre avec les conséquences d’un enfant pendant l’adolescence, du sida, du traumatisme d’un viol et/ou d’un enfant de plus à nourrir.
Tranquillement, les générations féminines plus jeunes refusent et luttent contre ce comportement animal. Lorsque nous serons à même de constater un changement important de mentalité chez les femmes zambiennes, nous pourrons ensuite envisager l’évolution culturelle chez l’homme. Ce ne sera cependant pas de sitôt.
De mon côté, je me retiens tout d’abord de vomir devant de tels récits (particulièrement ceux de pédophilie). Je me cache ensuite honteusement le pénis entre les jambes, honteux d’être un homme ici, et je me concentre à encourager et promouvoir la puissance de la femme accomplie dans un monde équitable d’humains.
Exemples de comportements encore observables en Zambie
- Priorité de l’éducation aux garçons;
- Tâches ménagères attitrées aux filles, tandis que les garçons sont libres de jouer;
- En âge, on enseigne aux jeunes femmes que leur but dans la vie devrait de toujours rendre l’homme heureux;
- L’homme devrait toujours avoir priorité sur la femme;
- Si la femme a de la difficulté à donner naissance, elle peut être battue parce qu’elle est perçue comme lâche;
- Les nouvelles mères peuvent être punies si le sexe de l’enfant n’est pas comme prévu;
- Ne pas être marié ou être stérile est vu comme le pire destin qu’une femme puisse subir;
- Les femmes doivent garder le silence lorsqu’elles sont battues par leur mari;
- Les femmes ne peuvent pas refuser les avances sexuelles;
- Les femmes ne devraient pas s’attendre à aucune aide financière de la part du père de leur enfant;
- Beaucoup d’entre elles croient encore à la sorcellerie et une femme avec une carrière à succès peut être perçue comme une sorcière;
- Certains enseignants croient que les étudiantes peuvent offrir des faveurs sexuelles en échange de bonnes notes.