Mon nouveau chez moi (vidéo)
Je suis maintenant bien installé dans mon nouveau chez-moi chez Butterfly Space à Nkhata Bay au Malawi. Je vous en fait faire une visite rapide.
Q & R : Comment pratiquer le bénévolat éthique? | Règle 4
De nos jours, il ne suffit plus de faire du bénévolat; il faut le faire adéquatement et éthiquement. Toutefois, avec tout le marketing qui est fait autour du sujet, il est difficile de s’y retrouver et de bien choisir. En m’inspirant de mes lectures exhaustives sur le sujet, ainsi que de mes expériences sur le terrain, je vous dresse mon propre portrait du bénévolat éthique, en sept règles.
Règle 4 : L’homme blanc dans une armure brillante
(White in Shining Armour)
C’est le fameux syndrome du héros blanc en habit kaki.
Encore aujourd’hui, le bénévolat international est souvent vu comme une nouvelle forme de colonialisme. L’homme blanc, venu pour sauver le pauvre monde de leur pauvreté. « Sauvez le monde », « Faites une différence colossale », « Sauvez les victimes » sont quelques-unes des formules marketing qui encouragent un déséquilibre malsain dans une relation « donneur » et « receveur ».
Avant même d’arriver en Afrique, je suis passé en mode « enfant » afin d’ouvrir mon esprit, d’apprendre davantage et de rester humble dans mes approches. En tant qu’enfant, j’ai tout à apprendre de cette société bien différente de la mienne et les gens que je rencontre se font un plaisir à m’enseigner ce qu’ils connaissent beaucoup mieux que moi.
Soyez honnête avec vous-même. Tenez-vous loin des doctrines du genre « Nous avons tout et ils n’ont rien ». Évitez de voir votre expérience comme un acte de « don », mais plutôt d’échange. Et tout échange est constitué d’une part de « donner » et d’une part de « recevoir en retour ». C’est en apprenant plus sur l’autre et en comprenant mieux leur culture que vous serez en mesure de bâtir une réelle solidarité. En adoptant un rôle d’enfant (ou d’apprenant), vous donnez aux habitants de votre communauté d’accueil le respect qu’ils méritent.
Uniquement à travers les rencontres que vous faites, vous seriez surpris de l’échange culturel qui peut se créer. Beaucoup de gens que vous rencontrez n’ont pas la chance de voyager à l’étranger comme vous et moi. Certaines personnes n’ont même jamais rien vu d’autre que leur propre village. Vous leur apportez donc l’opportunité d’en apprendre plus sur votre propre culture, en même temps qu’ils vous en enseignent sur la leur.
Par exemple, en étant une femme libre et indépendante, vous démontrez et promouvez les progrès et les droits de la femme. Les femmes de la localité remarquent assurément que vous voyagez en toute égalité à l’homme. Ne sous-estimez pas l’effet positif que cela puisse avoir chez elles. Vous êtes peut-être même un modèle pour certaines et vous en inspirez certainement plusieurs autres.
Librement inspiré de TheEthicalVolunteer.com
Cet article est grandement inspiré des 7 péchés capitaux du mauvais bénévole (« 7 Deadly Sins of bad volunteering ») décrits sur le site TheEthicalVolunteer.com/Education. Sans toutefois valoriser tout le contenu du site, je crois que ses énoncés représentent bien ma vision du bénévolat. À ces péchés, j’ajoute mon opinion, mes commentaires, mes expériences ou mes propres histoires.
La partie la plus difficile de mon aventure jusqu’à présent
Comme moi, tu auras affronté pendant plusieurs mois des centaines de situations déstabilisantes et tu auras survécu à des dizaines d’obstacles semblant insurmontables. Toutefois, le milieu le plus difficile à s’adapter sera chez toi, parce que cet endroit représente simultanément ce que tu as toujours été et ce que tu ne voulais plus être. Il te demandera entre autres beaucoup d’acceptation, surtout si tu veux que ton séjour soit beau et agréable comme l’a été le mien.
La logistique
Ton séjour nécessitera beaucoup de logistique… et de déplacements. Plus de six jours d’interminables trains et autobus à partir de Mwanza, au nord de la Tanzanie, jusqu’à Lilongwe, au Malawi. Suivi de trois vols jusqu’à Boston (près de 300 $ moins cher que d’atterrir à Montréal), en passant par Johannesburg en Afrique du Sud et par New York aux États-Unis pour un total de 22 heures de vol. Finalement, tu prendras l’autobus de Boston jusqu’à Burlington où ton frère aura eu la gentillesse de venir te chercher pour t’emmener en Beauce, voir ta famille.
La famille
La famille sera en même temps le plus facile et le plus difficile du retour. Le plus facile parce que tu reviendras et tu sauteras simplement dans de vieilles pantoufles confortables avec toutes les mêmes habitudes que tu auras connu pendant toutes ces années et que tu n’auras aucunement oubliées. Des us et coutumes qui sont profondément ancrés chez toi et qui referont surface trop facilement.
Ce sera toutefois aussi le plus difficile du retour parce que ces habitudes masqueront tous les changements que tu pensais être survenu à l’intérieur de toi. Même si tu avais l’impression d’avoir beaucoup changé et que rien ne serait pareil à ton retour, la routine et le bien-être familial te ramèneront directement au point de départ, comme si rien ne s’était passé depuis les huit derniers mois de voyage. Tu auras un peu l’impression d’avoir perdu ton temps et d’avoir faire tout cela pour rien.
Heureusement, lorsque tu sortiras du milieu familial pour visiter les amis et connaissances, ce que tu es devenu au cours de ton périple reviendra au grand gallot et tu seras plus à même de constater véritablement les changements qui sont survenus chez toi. Tu seras en mesure de t’apercevoir que tu n’es plus la même personne et que tu as sans contredit gardé (ou éliminé) ce que tu avais décidé de changer pendant ce long processus de recherche de soi.
Les ami(e)s
Avec les ami(e)s, ce sera un plus facile, même s’il aura une certaine distance entre vous parce que tu n’auras pas continué à entretenir des liens sur une base régulière avec eux. Aussi forte que soit (ou était) votre amitié, il y aura quelques silences dans vos anecdotes parce que depuis plusieurs mois vos vies auront, à chacun, continué leur chemin sans trop tenir compte de celle de l’autre. Pas nécessairement dans des chemins opposés, mais plutôt plus libres de contraintes. Il règnera donc dans vos conversations une sorte d’écoute difficilement active.
Il y aura peut-être aussi de la frustration devant cette vie que tu ne vis plus, qu’elle te fasse encore envie ou non. Tes ami(e)s auront toujours un calendrier rempli de travail, d’occupations et d’obligations. Toi, surtout si tu es en visite temporaire, tu n’auras aucune de ces astreintes dans ta semaine. Profites-en pour « atterrir » de ton voyage, te renvoyer dans tes nouveaux acquis et éviter de les oublier. Si tu écrivais un journal, continue à le faire.
Ne demande jamais à tes amis ou à ta famille de comprendre, d’agir ou de penser comme s’ils avaient été avec toi ou s’ils avaient vécu ce que tu as vécu. Partage ce que tu as vécu, mais ne juge pas leurs états d’esprit et leurs opinions. Surtout, ne critique pas leurs habitudes et leurs manières d’agir dans un monde occidental. Il est impossible de demander à un Canadien de vivre comme un Africain, et l’inverse non plus. L’humain s’adapte simplement à l’environnement qui l’entoure, comme tu auras appris à le faire pendant les mois de ton aventure.
La dépendance aux autres
La dernière difficulté que, comme moi, tu devras affronter c’est ta dépendance aux autres. Comme tu auras probablement fait le choix de vivre simplement, sans revenus, avec tes économies comme seule ressource financière, et qu’en plus tu auras dépensé près de 2000 $ en billet d’avion et en transports, pour ton séjour d’un mois au Québec, tu devras dépendre de la charité de tes proches. Et c’est là la grande difficulté si tu es une personne indépendante et autonome comme je le suis.
À ton retour, ou pendant ton séjour, tu te sentiras souvent comme un poids pour certaines personnes. Toujours à tout leur demander et à dépendre d’eux ou à sentir que tes demandes sont difficiles à combler. Avoir l’impression que tu déranges leur routine, et ce même si tu n’es auprès d’eux que quelques semaines par années. Ce sera d’autant plus choquant comparativement à l’indépendance et l’adaptation que tu connaissais en voyage : aucun plan, à affronter les changements et les compromis fréquents.
Monétairement, tu ne pourras plus sortir avec certains de mes amis, ou même avec des membres de ta famille, car ils auront un niveau de dépenses beaucoup plus élevé que toi. Sinon, tes options seront de mendier pour qu’ils paient pour toi (et du coup te sentir énormément redevable) ou de t’abstenir.
L’acceptation
Tu passeras des moments mémorables avec tes proches, si tu acceptes les contraintes et limitations que je viens d’énoncer. Si tu admets que tu n’es plus la même personne et qu’ils/elles ne le sont plus non plus. Si tu accueilles les renoncements qui accompagnent les choix de vie que tu as faits avant et pendant ton aventure. Mais avant tout, si tu es prêt ou prête à refaire des adieux douloureux à des gens importants, de qui ton bonheur dépend. Ce sera peut-être, depuis ton départ, le plus gros défi que tu auras bravement relevé, et en sortiras, encore une fois grandi.
Sommaire de ma Tanzanie (Photos et vidéos)
La Tanzanie se résume littéralement comme une aventure dans mon aventure. Un pays rempli d’oppositions pour moi : audace-peur, joie-tristesse, volupté-douleur, réflexion-étourderie, calme-irritant. J’ai relevé le défi de parcourir le pays en moto, mais j’ai surtout accompli le rêve le plus important de mon voyage : visiter le camp de réfugié(e)s de Nyarugusu.
Achat d’une moto à Mbeya
Dès le premier matin, j’ai eu la chance de tomber sur Wilson qui a un petit commerce de nourriture tout près de mon hôtel. Il a accepté généreusement de m’aider à acheter une moto. Pendant les quatre jours passés ensemble, il m’a trouvé des choix de modèles usagés, après plusieurs tentatives infructueuses m’a amené chez un vendeur de véhicules neufs, a soudoyé le ministère du Revenu de me fournir un numéro TIN, m’a permis d’avoir les papiers du véhicule à mon nom et m’a guidé partout en ville pour mes divers achats. Nous y avons littéralement passé toutes nos journées. Le dimanche, il m’a amené voir sa femme qui venait d’accoucher à l’hôpital, m’a fait visiter sa maison, m’a présenté à sa famille et nous sommes allés à la messe ensemble. Nous avons eu de magnifiques discussions et nous avons développé une véritable amitié authentique. Il a été mon ange gardien de la Tanzanie et je lui ai inspiré le nom de son premier né : Francis!
J’en ai également profité pour visiter la plantation de café d’Utengule. J’ai aussi passé une longue journée à parcourir la brousse de Chimala à analyser la roche avec un groupe d’étudiants en géologie.
Chez les moines à Sumbawanga
Après deux jours de route, j’ai rencontré un moine à Sumbawanga qui m’a invité à venir passer quelques jours dans leur monastère à 65 km de là, dans la brousse. Au-delà des routines religieuses et des prières fréquentes, j’y ai passé un très bon moment à relaxer. J’ai aussi eu la chance de visiter une tribu Sukuma non loin de là. Ses habitants m’ont fait boire du lait fermenté et m’ont offert des œufs et un poulet vivant comme cadeaux de bienvenue. J’ai rapporté les deux présents au monastère et nous avons eu un véritable festin le soir même.
Parc national de Katavi
Camp de réfugié(e)s de Nyarugusu
Avant de me rendre au camp, il fallait que je traverse la région la plus aride de la Tanzanie avec ses routes dangereuses, sa terre rouge et sa poussière. Kasulu, la ville la plus près du camp, m’a permis de faire quelques réparations sur ma moto et de me préparer pour ma visite de Nyarugusu.
Début de la fin à Mwanza
Comme ma décision de revenir au Québec avant d’être professeur-directeur pour Stepping Stones était prise, je devais donc vendre ma moto à Mwanza avant de reprendre du retour au Malawi. Après encore beaucoup trop de routes terrifiantes, mais aussi d’éblouissants paysages, j’ai revu un ami que j’avais rencontré sur le bateau Ilala au Malawi deux mois avant, qui m’a aidé à vendre ma moto à Mwanza. Une de ses amies m’a aussi amené faire une petite visite de la ville. Je ne pouvais toutefois pas rester plus longtemps que 3 jours, car j’avais une longue route qui m’attendait pour revenir au Malawi pour prendre mon vol.
Comme les routes directes entre Mwanza et Mbeya sont horribles, on m’a recommandé de prendre le train jusqu’à Dar Es Salam, complètement à l’est du pays, et de revenir vers le Sud-Ouest à l’aide d’un autre train jusqu’à Mbeya (voir ma carte virtuelle). Malheureusement, après 41 heures de train, qui devait en prendre 36 au total, le dernier wagon du train déraille. Nous sommes encore à quatre heures de Dar Es Salam et nous devons attendre les techniciens ferroviaires, ce qui ajoutera un huit heures supplémentaire (si vous faites le total, j’aurais été dans ce train pendant 53 heures). Je choisis donc pour l’option B : prendre un minibus jusqu’à Morogoro et, le lendemain, prendre un bus jusqu’à Mbeya. Là-bas, j’y revois mon bon ami Wilson. Nous avons passé la journée ensemble et j’ai pu revoir son fils Francis.
Ma Tanzanie en chiffre
Dates | De | À | Distances | Durées |
---|---|---|---|---|
23 mai | Mbeya | Chimala | 72 km | 2h |
25 mai | Chimala | Tunduma | 175 km | 4h |
26 mai | Tunduma | Sumbawanga | 236 km | 5h |
28 mai | Sumbawanga | Monastère de Mvimwa | 65 km | 2h |
2 juin | Monastère de Mvimwa | Mpanda | 205 km | 7h |
3 juin | Mpanda | Camping sauvage | 137 km | 5h |
4 juin | Camping sauvage | Kasulu | 128 km | 4h |
8 juin | Kasulu | Mission Keza | 175 km (+30 km car je me suis perdu) | 6h (+1h) |
9 juin | Mission Keza | Geita | 220 km | 7h |
10 juin | Geita | Mwanza | 120 km | 4h |
10 jours | Moyenne de 156 km/jours | 1563 km | 47h |
Q & R : Pourquoi tant d’enfants chez les Africaines si jeunes?
Je vois régulièrement de jeunes filles d’environ 15 ans porter un enfant sur leur dos. J’aimerais penser que c’est leur frère ou leur sœur. Malheureusement, il faut me rendre à l’évidence, c’est probablement leur propre enfant; le premier-né je l’espère. Mais aurait-il une explication naïve à ce phénomène de grossesses précoces?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence entre elles et nous. Tout d’abord, comme la durée de vie moyenne est de 50 ans chez l’homme africain et de 55 chez la femme, peut-être que moins de 20 ans n’est pas si tôt dans leur cycle de vie. Ensuite, une des valeurs les plus importantes dans la société africaine est la famille et une femme sans enfants est souvent vue comme une sorcière ou comme un échec majeur.
Finalement, imaginez quelques secondes que votre vie soit comme celle de la presque majorité des femmes ici. Que les attentes que la société a de vous soient que vous restiez à la maison, que vous éleviez une famille et, qu’au mieux, vous ayez une petite business de vente de tomates sur le bord de la route. Imaginez que vous ne vous autorisiez même pas à rêver d’une carrière, ni même d’une éducation au-delà du primaire. Imaginez également que, si votre mari est encore avez-vous, et qu’il n’est pas décédé, mais qu’il revient à la maison qu’une fois par mois, et encore. Que la seule affection humaine que vous recevez vienne de lui, même si vous savez très bien qu’il a plusieurs maitresses, sinon prostituées, avec qui s’amuser, et qu’il reste marié avec vous que par pure apparence sociale. Ne souhaiteriez-vous pas, en tant qu’être fondamentalement social avoir des enfants pour créer votre propre groupe social, vos attaches émotionnelles ou votre fierté face à la réussite? Au final, les femmes africaines ont les mêmes besoins que nous : reconnaissances sociales, groupe d’appartenance, réussite, etc. Elles ne font que les combler comme elles le peuvent.
Et pourquoi ont-elles des familles aussi nombreuses? Un peu pour les mêmes raisons. Tout d’abord, avec la malnutrition et les lacunes médicales des pays, le taux de survie des enfants est plus bas. Ajoutez à cela les risques de décès de la malaria, les morts accidentelles fréquentes et la durée de vie réduite chez l’adulte, il se peut qu’elles veuillent seulement augmenter leur chance d’avoir une descendance. Ensuite, si avoir un enfant est symbole de réussite sociale, en avoir plusieurs l’est probablement encore plus. Finalement, plus d’enfants elles auront, plus d’amour et d’affection elles recevront. L’amour, nous en voulons tous et quand on y pense, la majorité de nos actions ont comme buts d’avoir, de recevoir ou de donner plus d’amour.
Retour au Québec pour le mois de juillet
La décision fût difficile à prendre, mais j’ai choisi de saisir une belle porte qui s'est ouverte à moi. Je serai professeur-directeur dans une école primaire du Malawi pendant dix mois (septembre 2017 à juillet 2018). Avant de commencer cette nouvelle aventure, je reviens au Québec pour le mois de juillet. Je vous donne tous les détails dans cet article.
Créer son opportunité
Mon mois de bénévolat pour l’école primaire de Stepping Stones de Nkhatta Bay a été l’une des plus belles expériences de ma vie. Non seulement j’ai eu la chance d’adapter et de produire une pièce de théâtre avec les enfants, mais j’ai aussi découvert une école incroyable, des professeurs de cœur et des élèves engageants. D’ailleurs, pour chaque élève qui paie des frais de scolarité, cette école primaire privée offre l’accès gratuit à un enfant dans le besoin (orphelins, parents sans revenu, etc.). C’est la façon que la fondatrice-directrice, Alice, a trouvée pour redonner à communauté locale et pour élargir l’accès à l’éducation aux enfants du village.
Un jour au retour de l’école, au moment où je sortais de l’autobus, une émotion a fait surface : j’étais authentiquement bien. J’étais à MA place. Comme j’étais très proche d’Alice, je lui ai fait immédiatement part de mes sentiments. Je savais aussi qu’en septembre prochain, Alice retournerait sur les bancs d’école afin de devenir enseignante diplômée. L’école se retrouverait donc en manque d’un enseignant d’anglais et du fait même d’un directeur. J’ai alors proposé l’idée ridicule de prendre la place d’Alice pendant son absence. À l’inverse de la réaction que je m’attendais, Alice a accueilli ma suggestion comme une vraie bénédiction.
Cette décision impliquait beaucoup de changements et impactait directement mon aventure, je devais par conséquent m’assurer que c’était vraiment ce que je voulais faire. J’avais besoin d’un moment seul à réfléchir. Je devais provoquer le déséquilibre pour me rapprocher de mes sentiments et mieux comprendre mon instinct. Après seulement quelques semaines en Tanzanie, j’ai su que ce serait la bonne décision. Voici pourquoi.
Prendre la bonne décision
Comme je vous en ai déjà parlé dans mon article « Q & R : Pourquoi tout vendre et voyager? », mon aventure Aider Sans Compter allait, entre autres, me permettre d’identifier de nouveaux ancrages sacrés. Je savais déjà que pour être heureux, je devais côtoyer des enfants sur une base régulière et que je devais avoir un impact positif chez les autres (les inspirer). Depuis octobre 2016, plusieurs autres ancrages sacrés ont fait surface. Les deux plus marqués sont que je suis épuisé de fuir (ma vie précédente pourrait littéralement se diviser en cycles de 2-3 ans) et que je veux développer un sentiment d’appartenance. Nécessairement, ce n’est pas en ne restant quelques jours à un endroit lors de mes déplacements, ni même en n’habitant un mois à un autre lors de mon bénévolat, que je réponds à ces nouveaux ancrages sacrés.
Mon implication dans cette école toutefois répondra à ces trois importants ancrages sacrés. Et puis, en tant que professeur, j’inspirerai plusieurs jeunes âmes et je donnerai non seulement ce qu’il y a de plus précieux dans la vie, la connaissance, mais surtout, je leur ouvrirai la plus grande des portes pour l’avenir d’un Africain : l’anglais. Avec cette langue, ils et elles décupleront leurs possibilités de carrière et se donneront le droit de rêver.
Comme vous le savez déjà, mon plan initial était de continuer jusqu’en Inde, en passant par le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya et l’Éthiopie. Même si la découverte de ces pays m’excite, je réalise que ce qui m’allume le plus de mon aventure c’est le côté humanitaire; donner et inspirer occupe une plus grande place dans mon cœur pour le moment. D’autre part, avec la réalisation dernièrement de mon seul rêve planifié, l’accès au camp de réfugié(e)s de Nyarugusu (voir l’article), j’ai un grand sentiment d’accomplissement et de réussite qui m’envahis et qui fait émerger de nouveaux rêves différents de ceux préalablement chéris.
Avec le temps aussi, j’ai perdu cette naïveté que j’avais dans les débuts de mon aventure. J’ai perdu ce regard sur le quotidien du voyage qui me poussait à interagir avec tout le monde et n’importe qui. Inconsciemment, je m’isole au nouveau et m’éloigne de l’émerveillement de la découverte. Et, finalement, j’ai une aversion grandissante à l’égard du racisme africain (voir l’article).
Je n’ai pas l’intention de laisser tomber AiderSansCompter.com. Peut-être y aura-t-il une quantité réduite de publications dût au quotidien qui ne génèrera pas toujours autant de créativité ou de sujet intéressant pour vous. Toutefois, j’ai la ferme intention de continuer à publier. J’aimerais vous présenter mes élèves, leurs histoires et leurs accomplissements. Je veux aussi continuer de vous partager le fruit de mes réflexions. Et je me lancerai quelques fois dans des aventures de courtes durées qui surement pourront vous faire rêver.
En résumé
Je serai enseignant d’anglais pour la classe de 5e année (entre autres) de septembre 2017 à juin 2018 (10 mois) à Nkhatta Bay au Malawi pour une école primaire internationale. J’aurai également des tâches de directeur (paie des employés et enseignants, gestion de la cuisine et des nouvelles constructions, examens, réunions de parents, etc.). J’habiterai à Butterfly Space gratuitement et recevrai un maigre 120 $ par mois pour me permettre de manger et de me déplacer.
Toutefois, parce que mon Québec me manque énormément et que je ne saurais supporter un autre 10 mois sans faire le plein de mes origines, je reviendrai au Québec pendant tout le mois de juillet (23 juin au 7 août). Je ferai ma tournée des régions pour voir mes proches, mais je vous invite à communiquer avec moi si vous aimiez qu’on se voie pour n’importe quelle raison. Il me fera SUPER plaisir de passer du temps avec vous et d’avoir de belles discussions. Voici justement mon horaire préliminaire (flexible et sujet à changements sans préavis) :
- 25 juin au 9 juillet : Québec
- 10 au 20 juillet : Beauce
- 21 au 29 juillet : Sherbrooke
- 30 juillet au 5 août : Beauce
- 6 et 7 août : Montréal
Et après mes 10 mois d’implication au Malawi? Je ne sais pas encore. Peut-être que je continuerai mon aventure comme prévu. Peut-être que j’ajusterai mon itinéraire initial. Peut-être que je déciderai de rester au Malawi pour encore plus longtemps. Peut-être que je reviendrai au Québec pour de bon. Beaucoup de peut-être, aucune certitude.
Camp de réfugié(e)s de Nyarugusu
Avant de partir à l’aventure, je me suis préparé pendant plus d’un an, mais je n’ai rien planifié… sauf une seule chose. Un seul incontournable primordial : visiter le camp de réfugié(e)s de Nyarugusu. J’en avais fait la promesse à ma deuxième famille et j’allais tout faire pour tenir ma promesse.
Le rêve
En septembre 2015, j’ai décidé de m’impliquer auprès des familles réfugiées à Sherbrooke. J’ai donc approché l’organisme SAFRIE (Soutien aux familles réfugiées et immigrantes de l’Estrie). Ils m’ont immédiatement attribué la famille André, une famille extraordinaire de cinq enfants, de 5 à 17 ans, arrivée depuis quelques mois au Québec (Jean-Claude, Réhéma, Anserme, Kérémesia et Nadia)
Bien que mon mandat premier soit d’aider les deux enfants plus vieux dans leurs devoirs, mon implication s’est vite étendue à aider tous les enfants dans une multitude d’aspects de leur intégration : devoirs, achats divers, visites, sorties éducatives, transports, activités plein air et sportives, etc. Pendant un an, je les voyais de deux à trois fois par semaine. Nous nous sommes donc beaucoup attachés tous les six; ils étaient ma deuxième famille… les enfants que je n’ai jamais eus.
Lorsqu’est venu le jour où je devais leur annoncer mon départ de plusieurs mois en Afrique, je savais que ce serait aussi difficile pour eux que pour moi. Pour faciliter le deuil de notre côtoiement, je leur ai fait la promesse que lorsque je serai en Tanzanie, je ferais tout en mon possible pour, au minimum, visiter le camp de réfugiés où ils sont tous et toutes né(e)s : le camp Nyarugusu .
Ce camp, situé à 55 km de Kasulu, tout près de la frontière du Burundi au nord-ouest, est l’un des plus peuplés du monde. Ils comptaient plus de 300 000 réfugiées, principalement en provenance du Congo et du Burundi, avant qu’une grande partie de la population soit transférée séparément dans deux autres nouveaux camps près de Kibondo , plus au Nord. Sans faire de promesses que je ne pourrais peut-être pas tenir, je leur ai confié que j’essayerais de visiter le quartier où ils avaient grandi et de rencontrer leurs amis et voisins encore présents dans le camp.
Entamer son rêve
Dès mon entrée au pays, je me suis procuré une moto pour me permettre de me rendre dans la région de Kigoma où se trouve le camp de Nyarugusu, à plus de 850 km de Mbeya. J’ai affronté les routes les plus difficiles, j’ai mangé la poussière, je me suis perdu, j’ai habité chez les moines catholiques, j’ai communiqué dans une langue quasiment inconnue (le Swahili), j’ai cogné à des portes fermées et j’ai passé proche de la mort dans le parc national de Katavi. J’ai toutefois atteint la ville de Kasulu sain et sauf le 4 juin.
Arrivé à Kasulu, je me suis cherché un hôtel. Pendant mes allées venues dans la ville, j’ai croisé un immense complexe identifié UN (Nations Unies) et je savais qu’ils sont l’un des seuls organismes à administrer le camp. J’ai donc frappé à leur porte les doigts croisés dans le dos. Après avoir raconté mon histoire à trois différentes personnes, on m’a recommandé de revenir le lendemain (nous étions dimanche) où l’on pourrait me rediriger vers les quartiers généraux à quelques kilomètres de là. Me voilà donc à 8 h du matin à la guérite du QG des Nations Unies, à exposer mon rêve aux agents de sécurité, ensuite au chef de la sécurité, à la réception de l’administration, au responsable des visiteurs et finalement au directeur de la coordination.
Ce dernier a ensuite fait des pieds et des mains pour m’ouvrir trois différentes portes. La première fut de transférer mes informations et mon CV au bureau général des Nations Unies à Dar Es-Salaam pour d’éventuelles opportunités de bénévolats. La deuxième fût de m’indiquer la façon de me rendre directement au camp de réfugié(e)s à 55 km de là pour m’adresser au bureau du Ministère des Affaires intérieures et discuter d’une éventuelle visite. La troisième porte, en dernier recourt, fut de m’offrir de faire parvenir directement le cellulaire à la famille anciennement voisine de la famille Andrée. Car la maman m’a remis un peu d’argent avant mon départ et m’a fait promettre d’acheter un téléphone cellulaire en Tanzanie et de le donner à une famille très proche d’eux, qui habite encore le camp, afin qu’ils puissent reprendre contact.
Boucler la boucle
Le matin du 7 juin, j’enfourche donc ma moto en direction du Camp de réfugié(e)s de Nyarugusu. Après 1 h 30 de conduite aveugle à me remplir les poumons de poussière rouge, j’aperçois les dizaines d’enseignes m’indiquant que je suis tout près de mon objectif.
Mon premier obstacle est le barrage de police. Je dois leur raconter mon histoire, leur expliquer qu’on m’a recommandé de me présenter au bureau du ministère des affaires intérieures le plus proche de Kasulu pour rencontrer le directeur et leur proposer d’appeler le directeur de la coordination que j’avais rencontré le jour précédent. Ils finissent par me laisser passer, sous escorte, pour me rendre au bureau du ministère.
À ce moment même, j’ai le pressentiment que ce sera peut-être la première et dernière fois que je pourrai voir le camp. J’arrête donc mon regard sur tout ce que je peux. J’observe tout et assimile beaucoup. De l’école primaire à la clinique médicale, en passant par le marché, les femmes qui transportent leur baril d’eau et les enfants qui courent partout. En fin de compte, c’est comme un n’importe quel village africain d’importance, sauf qu’ici, personne ne peut sortir (ni entrer) du village.
Ce qui attire surtout mon attention, ce sont les centaines d’habitants regroupés aux alentours de trois gros autobus voyageurs. Certains fêtent, d’autres pleurent et presque tous et toutes prennent des photos. La majorité des réfugiés attroupés portent des vêtements neufs et plusieurs arborent l’effigie américaine ou canadienne. C’est alors que je comprends que ces autobus amèneront tous ces réfugié(e)s vers leur nouveau pays d’accueil, après un long périple de paperasse administrative, de vols, de chocs et d’acclimatation. De futurs nouveaux arrivants aux États-Unis (pauvres eux) et au Canada. De nouvelles familles comme la famille André. Des enfants comme ceux que j’avais aidés à s’intégrer. À ce moment précis, je venais de boucler la boucle… Je venais de saisir le sens d’une grande partie de mon aventure.
Accomplir son rêve altéré
Rendu au bureau, je rencontre le directeur du ministère des Affaires intérieures qui, malheureusement, ne peut pas m’autoriser à me rendre plus profondément dans le camp. Il me propose toutefois d’envoyer quelqu’un dans le quartier où la famille André habitait pour ramener les voisins et amis.
Grâce à l’information que m’avaient fournie les enfants, la liste des noms et une photo d’un d’entre eux que j’avais imprimée et trainée avec moi depuis l’Afrique du Sud, j’ai pu, après seulement trois heures d’attentes, faire leur connaissance.
Pendant trois autres heures, je me suis présenté, je leur ai raconté mon histoire, nous avons regardé des photos de la famille André, nous avons pris des photos ensemble et nous avons même appelé la famille André grâce à mon Skype. Je leur ai aussi remis l’argent promis et je les ai avisé(e)s que je ferai parvenir un téléphone cellulaire neuf dès le lendemain. Après des adieux émotifs, j’ai dû les quitter, impuissant de pouvoir faire plus pour eux.
Au final, je n’aurai pas pu m’impliquer dans le camp, ni même voir où habitait la famille André. Cependant, je ne suis pas triste ou amer de cet échec partiel. Je suis plutôt très fier d’avoir bravé la distance et les obstacles pour atteindre cet objectif symbolique de mon aventure.
Le racisme africain
C’est connu, le racisme peut prendre toute sorte de formes. On pense souvent qu’une personne raciste est un blanc qui ne respecte pas l’égalité d’un noir. Toutefois, ici en Afrique, je constate que je suis moi-même victime quotidiennement de racisme.
Une aversion grandissante à l’égard du racisme africain
Dans plusieurs langues africaines, le mot « Musungu » désigne « homme blanc ». Ça peut sembler banal à première vue, mais chaque fois qu’un Africain cri « Musungu » pour m’interpeller dans la rue, ou qu’il utilise le mot dans une conversation avec son encourage, il m’identifie par le simple faire de ma couleur e peau. Et ça, c’est du racisme.
La presque totalité du temps, les hommes m’arrêtent pour me demander de l’argent ou une bourse canadienne pour immigrer/étudier au Canada. Allez savoir pourquoi, les femmes ne m’adressent presque jamais la parole d’elles-mêmes.
Les plus directs diront « Give me money » et répliqueront à mon refus avec « But it’s not a lot for you ». Ils oublient malheureusement que bien que 10 000 shillings tanzaniens ne représentent que six dollars canadiens, et que le salaire minimum du Canada est probablement vingt à cinquante fois plus élevé que celui des Africains, ma bouteille de boisson gazeuse à la maison me coûte quatre fois plus cher, en plus de mon appartement, de ma nourriture, de mes taxes, etc.
Les plus subtiles eux commenceront par tenter de créer un lien entre nous du genre :
- Hey my friend. How are you? Where are you from?
- I am from Canada.
- Oh Canada… Toronto? Vancouver?
- No! Montreal.
- Oh yes Montreal. I have a friend living in Montreal.
J’ai déjà fait le test avec Kuujjuaq et il avait aussi un ami qui habitait là-bas.
L’autre jour même, un homme, qui s’est présenté comme le gardien de nuit de l’hôtel où je dormais, est venu me réveiller à 6 h du matin pour me dire que ma moto était en sécurité, qu’il avait terminé son quart et qu’il retournait à la maison. Il n’a toutefois par manqué de souligner que sa famille était malade et qu’il voulait que je lui donner de l’argent.
Parce que je suis blanc, j’ai de l’argent à donner. Parce que je suis blanc, et que je voyage, je suis riche. Parce que je suis blanc, que je voyage et que je porte un gilet sans trou (j’en ai des trous, mais je les répare), je dois croire et financer les dizaines et dizaines d’histoires qu’on me raconte pour soutirer la pitié. Parce que je suis blanc, que je voyage, que je porte un gilet sans trou et que j’ai un sourire avec toutes mes dents, je peux me permettre de donner le peu d’argent que j’ai réussi à économiser pendant deux ans en limitant toutes mes dépenses, en vivant simplement et en vendant tout ce que j’avais comme possession matérielle au Canada. Tous les jours, plusieurs me voient comme un énorme portefeuille. Rares ont été les fois où une personne est venue me parler pour réellement en apprendre plus sur moi et pour, peut-être, développer une amitié.
Le racisme c’est aussi présumer les faits en se basant sur nos préjugés. C’est de s’imaginer tout savoir de l’autre selon son apparence ou sa couleur de peau.
Il faut bien qu’on s’entende, je ne suis pas contre le soutien financier de personnes dans le besoin. Je tiens seulement à soulever le point qu’on ne devrait pas le faire à l’aveugle au premier venu. On devrait choisir notre cause et éviter de le faire aux mendiants, car nous encourageons ce genre de conduite et nuisons au développement de meilleurs comportements tels la créativité, l’initiative ou l’entrepreneuriat. De toute façon, il n’y a rien de plus gratifiant que de créer une relation étroite avec quelqu’un dont nous connaissons la réelle histoire, en qui nous avons confiance et pour qui nous saurons que l’argent sera utilisé pour des ambitions durables.
Adrénaline dans le tapis à Katavi
Mon plan était simple : quitter le monastère de Mvimwa, profiter de ma traversée du parc national de Katavi et me rendre à Mpanda. Une courte distance de 205 km en 6 h 30 qui s’est vite transformée en 9 h de martyres et de panique. Seul au monde, attaqué par les mouches tsé-tsé, enlisé dans les sables mouvants, frappé de plein fouet par les milliers de trous et renversé de ma moto, mon taux d’adrénaline était à son maximum.
Sur papier
Mon objectif de la journée est de quitter le monastère de Mvimwa à 8 h et de me rendre à Mpanda avant la tombée de la nuit. Sur papier, c’est simple. Après la 3e heure de moto, je me rendrai à Kisi, situé juste avant l’entrée du parc national de Katavi, afin de manger un petit quelque chose, de faire le plein d’essence et de reposer mon gros derrière endolori. Ensuite, je traverserai le parc à une vitesse de croisière pour me permettre d’apercevoir la faune locale (girafes, lions, éléphant, hippopotames, gazelles, etc.) et de prendre quelques photos. Je terminerai ensuite ma journée à environ une heure après la sortie du parc national, dans la ville de à Mpanda, exactement à 205 km (environ 6 h 30) de mon point d’origine.
En réalité
Pour une raison que j’ignore, malgré les indications détaillées d’un prêtre du monastère, je suis déjà 1 heure au-delà de la ville de Kisi. Ça fait déjà trois heures que je roule, j’ai le cul en feu, je commence à avoir faim et mon niveau d’essence est déjà très bas (je n’ai toutefois aucun moyen de savoir la quantité exacte restante sauf en me plongeant l’œil dans le trou du réservoir). J’aperçois déjà au loin l’affiche qui me souhaite la bienvenue dans le parc national de Katavi. Faudra donc que j’affronte le parc en affamé, en douleur et en priant.
Je vais quand même me permettre un petit arrêt de quelques minutes sur le bord de la route pour photographier l’affiche « Welcome ». J’ai à peine le temps de sortie mon appareil photo que je suis pris d’assaut par une dizaine de mouches Tsé-Tsé ! Tsé les mouches grosse comme un 25 cents canadien, qui te mordent plusieurs fois en une seconde et qui transmettent la maladie du sommeil. Le nom « tsé-tsé » vient justement de la langue tswana, parlée dans plusieurs pays d’Afrique australe et signifie « mouche qui tue le bétail ». À partir de maintenant, il me sera impossible de même ralentir à moins de 30 km/h si je ne veux pas me lamenter de douleur en répliquant à leurs attaques.
J’entre donc dans cette région aride, longue de 87 km, pleine d’animaux dangereux et désertée par la majorité des humains. Parce que le plus épeurant ce n’est pas de croiser un éléphant ou un lion, mais bien de ne jamais croiser personne pendant longtemps si un incident survient.
Les différentes surfaces de la route se relayent aux kilomètres. De toute mon inexpérience comme motocycliste (il y a à peine deux semaines, je n’avais jamais conduit de réelles motos de ma vie), je brave la gravelle, la terre battue, la terre non battue, la glaise, les trous, les trous, les trous et le sable. Car le pire c’est le sable. Si vous avez eu la chance de conduire une moto, vous savez donc que la traction arrière, combinée avec le poids des bagages et du conducteur, permet de propulser le cul du véhicule de gauche à droite à perpétuité lorsqu’elle entre en contact avec un sol moelleux comme le sable. L’équilibre précaire du derrière se répercute instantanément sur le devant forçant le conducteur malmené à battre des bras de gauche à droite tel un archet de violon pendant la pièce classique « le vol du bourdon ».
C’est dans de telles circonstances que je prends ma première débarque en moto. Heureusement, je n’’hérite que d’hématomes, de quelques éraflures et d’un beau coup dans l’orgueil. Ma moto aussi ne subit que de légères contusions avec un parechoc crochi. Ce qui m’a toutefois inquiété le plus c’est que le moteur ne voulait plus redémarrer pendant quelques secondes, semblant quelques minutes. Toutes ces minutes sans signe d’un bon samaritain en offrant un festin royal aux mouches dévoreuses d’hommes.
Peu importe la surface sur laquelle je roule, il y a des trous… beaucoup de trous. Je valse continuellement entre eux, toujours en évitant de tomber en dessous des 30 km/h. Je réussis à en contourner plusieurs, mais je suis encore meilleur pour les prendre en plein nez. Avant chaque impact, je supplie le seigneur de prévenir un bris mécanique et j’implore mes fessiers colériques de se calmer. Quand je croise exceptionnellement un camion, ou quand il y en a un qui me double, c’est un nuage de poussière et de cailloux (pas le frère de Mousseline là) qui m’est balancé au visage me faisant perdre tout contact avec la réalité routière pendant plusieurs secondes. C’est pendant ces rencontres que j’excelle le plus dans mes embrassades de chaussée béante.
Nul besoin de vous dire que pendant la durée complète du trajet, mon attention est tout yeux tout oreilles sur les 100 mètres devant moi. Il est hors de question de détourner ma concentration vers l’horizon et la faune imaginable. J’ai l’adrénaline dans le tapis, les pupilles dilatées et le cœur qui bat la chamaille. J’atteints finalement la limite nord du parc après cinq heures de calvaire. Je suis épuisé, brun de poussière, en sueur et en larmes. Je m’arrête quelques minutes dans une station-service pour faire le plein (ma moto a littéralement pompée le carburant de la pompe à essence), prends quelques gorgées d’eau, respire un bon coup et continue pour une dernière heure sur une magnifique route asphaltée, vide de bestioles, à 90 km/h, jusqu’à MPanda pour y passer la nuit.
Et la seule chose que j’aurai entrevu qui se rapprochait le plus d’un animal, ce sera un ouvrier de la route barbu qui ruminait au soleil.